Comment Amazon a failli créer son premier syndicat aux USA …
Avez-vous déjà essayé de transformer une entreprise, un service ou même juste une équipe ? Si c’est le cas, alors vous savez que l’on se retrouve rapidement avec des situations plus difficiles à gérer que prévu. C’est justement ces situations que nous allons aborder !
A y regarder de plus près, ces situations de résistance peuvent être liées à des changements de pratiques mais aussi à des changements de règles. Dans ce cas, la résistance est souvent issue d’un décalage entre la norme et la règle. Nous pourrions penser que c’est la même chose, une norme, une règle, finalement peu de différence à première vue. Quand nous voulons instaurer un comportement, nous créons une règle qui dit comment faire. Cela devrait devenir la norme de comportement rapidement. Sauf que dans les faits, il existe déjà des normes de comportement, invisibles à l’œil nu, qui entrent en conflit avec la nouvelle règle. Les normes, ce sont elles qui font autorité.
La norme sociale c’est ce que fait la majorité parce que c’est considéré comme souhaitable, légitime. Elle représente en fait la culture de l’entreprise, en particulier les valeurs que portent ceux qui y travaillent. Les collaborateurs agissent selon leurs normes et leurs valeurs, c’est-à-dire ce qu’ils considèrent importants, pas forcément selon les process. C’est là que se situe l’importance de la culture de l’entreprise. Selon Maurice Thévenet, la culture est ce qui « caractérise l’entreprise et la distingue des autres, dans son apparence, notamment dans ses façons de réagir aux situations courantes de la vie de l’entreprise »[1]. Au contraire de la norme, la règle n’a de légitimité que celle de la hiérarchie qui l’impose. Vous verrez que dans de nombreux cas, la culture de l’entreprise, donc la norme, a beaucoup plus de poids …
Cette confusion, entre la norme et la règle je l’ai repérée en écoutant un podcast. Il parlait alors de culture d’entreprise et de comment instaurer des règles choquantes pour signifier vos valeurs, ce qui est important pour vous.
Prenons l’exemple de Netflix qui a instauré la règle des vacances illimités. L’idée est que les collaborateurs peuvent prendre autant de vacances qu’ils veulent. Le problème est qu’en vrai, les vacances ne seront jamais illimitées, loin de là. Il y a une limite, celle de la norme. La règle ne vaut toujours que dans la limite de la norme. Prenons un autre exemple, un salarié qui prend 6 mois de vacances. Comment pensez vous que réagiront les autres ? Pas très bien certainement. C’est finalement cela la vraie contrainte : la réaction des autres qui représente ce qu’on appelle la sanction sociale. Une fois revenu au travail, il fera certainement face à de nombreuses réactions, peu importe qu’il ait respecté la règle. Certains considèreront qu’il a abusé, qu’il est paresseux, ou qu’il est un passager clandestin, c’est-à-dire qu’il se l’est coulé douce alors que le reste de l’équipe a continué à bosser. Les autres auront peut-être même dû rattraper le travail qu’il ne pouvait pas fournir. Les regards, les petits commentaires ne manqueront pas. Au final il pourrait même se retrouver exclu du collectif… Si quelqu’un prend plus de vacances que les autres sans raison culturellement valable (enfant ou proche très malade etc…), alors la personne ne sera pas sanctionnée légalement par l’entreprise, mais directement par le collectif, ce qui peut être considéré comme pire. Nous avons besoin de ces interactions sociales pour nous construire dans notre travail comme ailleurs (dans notre confiance en nous, dans notre sentiment d’utilité et au final dans notre identité). Être exclu de ce qui devait donner du sens à notre vie est finalement une des pires sanctions qui existent. De plus, son équipe sera loin d’être efficace, occupée à pallier l’exclusion d’un membre.
Si la règle est trop souple, la sanction sociale prendra donc le relais. Mettre une place plus stricte que la norme n’est pas sans risque non plus. Au contraire, si la règle est trop restrictive par rapport à la norme, là nous nous confrontons à une forme de résistance au sens propre. C’est précisément ce qui est arrivé à Amazon avec le scandale des salariés qui ne pouvaient pas aller aux toilettes par manque de temps. La règle pour les pauses toilettes était tellement restrictive pour les salariés des entrepôts, qu’une grande majorité d’entre eux avaient peur d’aller aux toilettes au travail. Un syndicat a commencé à se créer en Alabama avec pour slogan : on veut aller aux toilettes. C’est sans mentionner les livreurs qui eux, pour respecter les délais de livraison, se retrouvent obligés de se balader avec leur bouteille-urinoir. Vous trouverez cette histoire dans cette petite vidéo : Amazon : un syndicat pour arracher la pause pipi – Arte TV
Vous allez peut-être me répondre que ces histoires de toilettes sont de l’ordre du physiologique et n’ont aucun rapport avec la norme. Dans ce cas, je vous propose cette image d’un chronomètre au-dessus des toilettes, aperçus en Chine, pour inciter les salariés à ne pas allonger leurs pauses dans les toilettes. Nous sommes estomaqués par cette image car nous là regardons avec notre culture, c’est ce que nous appelons l’ethnocentrisme. Cela ne pourrait avoir lieu chez nous car les normes de séparation entre public et privé sont plus rigides. Au contraire, le contrôle social en Chine est bien plus resserré autour de l’individu, même dans la rue, avec désormais les systèmes de notation sociales. Cette image n’est qu’un des éléments de ce fort contrôle social. L’entreprise ne se serait jamais permise de mettre ce système en place si culturellement cela n’était pas acceptable.
Pour résumer, les règles ne peuvent pas dépasser la norme acceptable, quel que soit le contexte, sans faire face à une sanction sociale de la part du groupe.
D’ailleurs, sans aller dans ces extrêmes, si la règle est vraiment ressentie comme trop restrictive, nombre d’entre eux trouveront divers moyens de résister à la règle, du plus petit geste du désengagement (qui crée déjà de très nombreux problèmes dans l’organisation) à la résistance collective.
Toujours est-il que, dans tous les cas, nous perdrons très souvent l’engagement d’une bonne partie des salariés si cela dégénère, puisqu’ils se sentiront dans leur bon droit de résister. Le désengagement est la première forme de résistance. Dans certains cas, cela pourra aller jusqu’à la grève, la dénonciation dans les médias, sur les réseaux sociaux comme ce fut le cas d’Amazon.
L’idée est donc qu’aucune règle ne peut subsister si elle n’est pas alignée avec la culture réelle de l’entreprise, avec la norme des collaborateurs, et au fond avec les valeurs qu’ils portent.
Quelques conseils pour une transformation plus fluide :
- Pour changer une règle, il vous faudra d’abord identifier la norme, c’est-à-dire chercher à savoir ce qui se fait aujourd’hui et pourquoi.
- Testez la réception de votre règle : Si vous envisagez de mettre en place une règle (exemple : imposer le port de la cravate), demandez d’abord à vos collaborateurs ce qu’ils en pensent, si cette règle leur paraît légitime, et pourquoi.
- Enfin, pourquoi ne pas mettre la règle en discussion ? Discuter de ce changement , en profondeur, avec le maximum de collaborateurs peut être la meilleure façon de réussir. D’ailleurs, le meilleur moyen de faire accepter un changement, c’est de faire participer à son élaboration.
Avant de transformer une entreprise entière ou juste une règle, posez-vous donc d’abord la question de la culture réelle, des normes dominantes, des valeurs vécues des collaborateurs, car ce sont elles qui domineront toujours sur le long terme quelle que soit l’incitation financière, nudge ou autre gamification.
Et si vous avez besoin d’aide, nous sommes là pour vous accompagner. Explorez en profondeur la culture de votre organisation
[1] Maurice Thévenet, La culture d’entreprise, Paris, Presses universitaires de France, 1993
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